L’adolescence entraine des changements corporels chez les filles et les garçons. C’est aussi une période où l’adolescent.e et le jeune sont particulièrement exposés à différentes formes de vulnérabilité, aux violations des droits de la personne, notamment dans les domaines de la sexualité.
Les tabous, la stigmatisation constituent les principales barrières pour les adolescents à prendre en charge leur santé. « Il y a un réel blocage. Je suis à mon 3eme poste, je ne les vois presque pas si ce n’est une grossesse tardive. Ils ne viennent pas pour des questions spécifiques à la SR. Il y a encore énormément de défis à relever », raconte Oumou Khaïry Bâ, sage-femme au poste de Thioffack. A cela s’ajoute l’insuffisance d’informations appropriées au niveaux : sanitaire, familial et scolaire.
Malgré les efforts fournis à travers la mise en œuvre de politiques et programmes de promotion et d’amélioration de la santé de reproduction des adolescent.e.s et jeunes, de nombreux défis persistent encore. La plupart adoptent des comportements à risque et sont confrontés à des problèmes de santé : grossesses précoces ou non désirées avec leurs conséquences, infections sexuellement transmissibles y compris le VIH etc. Alors que les victimes de viols et d’abus ont peu d’option pour obtenir justice. « Les parents négocient discrètement avec la famille ou avec les hommes qui rendent les filles enceintes pour obtenir un apport ou un soutien financier aux filles », relève Mame Saye Diop, coordonnatrice de la boutique de droit de Kaolack, partenaire du projet.
L’urgence d’agir
Il est important de souligner que la plupart des habitudes défavorables à la santé acquises lors de l’adolescence entrainent des conséquences sanitaires à plus ou moins à long terme, d’où la nécessité de promouvoir l’adoption de comportements sains durant cette période. Les grossesses précoces, les violences basées sur le genre et les abus sexuels constituent un grave problème dans les communes de Kaolack et de Gossas.
Pour apporter des éléments de réponses, ENDA Santé en partenariat avec l’Organisation African Population and Health Research Center (APHRC) a mis en place le projet « Améliorer la santé des adolescentes au Sénégal pour lutter contre les mariages d’enfants et les violences sexuelles« , cofinancé par Affaire Mondiale Canada et le CRDI.
L’objectif est d’identifier les manquements, de mettre en œuvre des stratégies appropriées et efficaces basées sur des données probantes générées permettant de prévenir et de réduire les mariages et grossesses précoces ainsi que leurs problèmes connexes auxquels pourraient faire face les adolescentes de 10 à 19 ans dans ces localités.
Une approche multipartite pour une prise en charge globale la santé de la reproduction des adolescent.e.s et jeunes
Essentiellement, 3 axes d’intervention ont été mis en place pour atteindre les objectifs. Il s’agit du renforcement des capacités des principaux acteurs (prestataires de soins, pairs éducateurs, acteurs communautaires), le renforcement de l’offre de services SSRADDC y compris les VBG à travers les activités de proximité (causeries, sessions dialogues communautaires, dialogues intergénérationnels, stratégies avancées, prise en charge VBG, suivi psychologique, médicale et juridique), le plaidoyer et la communication (outils de support, émission radio Facebook live).
Après trois années de mise en œuvre, des résultats probants ont été obtenus notamment dans la prise en charge médicale des adolescents jeunes en termes de SR et des VBG. Au-delà des résultats obtenus et surtout les effets positives des interventions, les parties prenantes ont salué « la belle collaboration entre les différents secteurs (prestataires de santé, juristes (boutique de droits), Comité Départemental de la Protection de l’Enfant CDPE, AEMO, acteurs communautaires, Bajenu Gox, Pairs éducateurs.
A Kaolack, les acteurs se sont bien appropriés le projet et l’ont accompagnés. Au niveau du CDPE, nous intégrons les interventions de ENDA Santé dans les rapports que nous produisons et transmis au Préfet. Ce projet nous a permis aussi d’avoir la cartographie des acteurs qui interviennent dans la lutte contre les VBG notamment dans le signalement, le référencement, l’orientation et la médiation familiale et sociale. Pour les perspectives, il faut élargir les actions dans d’autres communes rurales où la violence est plus accrue et favorisée par le patriarcal.
Brahim Fall, Chef de service, responsable du CDPE.
Le partenariat entre les différents secteurs a été aussi une approche pertinente. Il a permis une prise en charge globale des adolescent.e.s et jeunes en matière de SR dans son volet offre de services (prise en charge médicale, juridique des cas d’abus sexuels, médiation familiale, sensibilisation, promotion de comportements favorable à une bonne santé et au bien-être des adolescent.e.s et jeunes dans les régions de Kaolack et Gossas.
Khadiatou Bâ est sage-femme au centre de référence PMI Kaolack, soutenu par ENDA Santé à travers le projet. La sage-femme reçoit les ados et leur offre gratuitement des soins (échographie, médicaments, conseils, orientations).
J’ai suivi 4 grossesses précoces, un cas de kystes mammaires, j’ai offert des service de PF… Je pense qu’il faut continuer la sensibilisation à travers la stratégie de la pair éducation. Les jeunes qui fréquentent le centre ont pour la plupart une expérience avec les causeries, les rencontres intergénérations ou ont été sensibilisés via les Facebook live.
Khadiatou Bâ est sage-femme au centre de référence PMI Kaolack
Des vies changées
Bon nombre d’acteurs rencontrés sur le terrain, soulignent la pertinence des activités de proximité. Ils évoquent des changements positives notamment une fréquentation des structures par les adolescent.e.s, une prise en main de leur santé. Des pairs éducateurs, fiers, racontent des histoires de vies qui illustrent à suffisance le sens de leur action auprès de la communauté.
« Au début de l’activité, les jeunes sont réticents mais au fur et à mesure, ils commencent à libérer la parole, ils nous font confiance. Ils demandent conseils sur des problèmes de santé les concernant. Les plus timides, à la fin de l’activité, en aparté, nous exposent leur problème. Le plus souvent, ils souffrent d’IST, mais éprouvent de la gêne à en parler. Nous nous organisons en tant que pair éducateur et nous les orientons vers la structure de santé partenaire. Après c’est le début d’une belle amitié fraternelle avec les jeunes. Je peux également citer l’exemple de Koundan, un quartier de Kaolack, après les dialogues intergénérationnels et les stratégies avancées organisées dans ce quartier, la sage-femme nous a notifié une amélioration en termes de fréquentation des jeunes dans le poste de santé de la localité.
Venue assister à une causerie, une jeune fille de 16 ans me confie une absence de règle de plus de 2 mois. Elle refuse de voir la sage-femme de son quartier, cette dernière connaît sa mère. Elle a peur que son secret soit partagé. Je l’ai orientée dans un autre poste de santé où la grossesse a été confirmée. La sage-femme a réussi à la convaincre et a informé sa mère. Très bouleversée par la nouvelle, la maman décide de partir de son foyer. Heureusement, la sage-femme et l’ICP ont joué les médiateurs avec le père de la fille. Je fais le suivi pour faciliter la prise en charge de la grossesse (les bilans, l’échographie, et les ordonnances). Elle continue pour le moment ses études. Nous allons informer l’inspection médicale scolaire au cas où elle doit observer une pause pour son accouchement. Ensuite elle pourra revenir et reprendre ses études.
Cheikh Tidiane Sène, pair éducateur à Kaolack
Le leadership des jeunes renforcés
Des victimes qui reprennent goût à la vie, après des périodes de doute et de souffrances. Des résultats encourageants qui laissent voir des jeunes renforcés, qui prennent position sur des questions qui les concernent au premier chef. « Nous sommes tellement sollicités. Nous sommes obligés de partager avec nos autres pairs les histoires de vie qu’on nous confie, de demander leur avis et de trouver des solutions tout en protégeant l’identité de la personne ».
Cheikh Tidiane Sène, ajoute ce propos : ce projet nous a permis de servir notre communauté, de renforcer notre leadership et de développer des compétences sur la SRAJ.
Malgré ces résultats, et tous les efforts fournis, des défis énormes restent encore. Pour faire face à la problématique de la santé de reproduction des adolescent.e.s et jeunes. En ce sens, des recommandations ont été produites par les différentes parties prenantes: Il s’agit de :
- pérenniser les interventions ;
- renforcer les acquis ;
- multiplier les activités dans d’autres localités non couvertes par le projet ;
- renforcer les activités de sensibilisation pour ne laisser personnes en rade ;
- élaborer des outils de signalement de référencement et de contre référencement pour pallier l’absence de données sur les VBG ;
- harmoniser les interventions avec les autres acteurs.