Le 5 novembre 2024, une rencontre stratégique s’est tenue à Dakar pour examiner les enjeux de l’accès aux médicaments à la lumière des défis liés à la propriété intellectuelle (PI) au Sénégal, réunissant des acteurs-clés du secteur de la santé, des représentants de la société civile, des professionnels de la santé et des spécialistes des droits de la propriété intellectuelle (PI). Cette initiative s’inscrit dans le cadre du projet « solidarité » avec ITPC, Kelin en collaboration avec ENDA Santé avec l’organisation d’un plaidoyer national visant à identifier et lever les barrières à l’accès aux médicaments essentiels pour les populations vulnérables, notamment dans la lutte contre le VIH, la tuberculose (TB), le cancer du col de l’utérus et l’hépatite C.
Des médicaments vitaux, disponibles en quantités suffisantes, aux bons endroits
Monsieur DIOUF, représentant du Directeur Général de la Santé, a souligné l’importance de cette rencontre pour renforcer la chaîne d’approvisionnement et garantir la disponibilité des médicaments vitaux, notamment dans les districts de santé.
Malgré les efforts du MSAS et de ses partenaires, des défis persistants subsistent dans la chaîne d’approvisionnement, surtout pour certains traitements spécifiques, comme les antirétroviraux (ARV) et les antituberculeux. Ces produits essentiels doivent être disponibles au bon endroit et au moindre coût pour atteindre la couverture sanitaire universelle (CSU).
Représentant du Directeur Général de la Santé
Dans ce contexte, le Sénégal se fixe pour objectif de renforcer l’accès aux soins en atteignant la Couverture Sanitaire Universelle (CSU) et en poursuivant son ambition de souveraineté pharmaceutique à l’horizon 2030.
Propriété intellectuelle : un frein ou une opportunité ?
Un des principaux sujets abordés lors de cette rencontre a été l’impact de la propriété intellectuelle sur l’accès aux médicaments. En effet, la PI, lorsqu’elle n’est pas soumise à des flexibilités, pourrait être un frein majeur à l’accès aux médicaments pour les pays à faibles revenus ou revenus intermédiaires. Dans certains cas, les brevets multiples (evergreening) prolongent de plusieurs années la protection sur certains médicaments, rendant les traitements inaccessibles en raison de coûts trop élevés pour le pouvoir d’achat des patients.
Le système actuel favorise les intérêts commerciaux des laboratoires et des firmes internationales, au détriment des besoins de santé des pays en développement, a expliqué un intervenant.
Le traitement de l’hépatite C en est un très bon exemple avec des prix avoisinant les 600 à 1 000 USD pour 12 semaines de traitement, malgré la disponibilité de médicaments génériques (200-300 USD).
Cependant, les participants ont mis en avant les possibilités offertes par les flexibilités des accords ADPIC, qui permettent d’ignorer les brevets en cas d’urgence sanitaire.
Des ambitions fortes en matière de souveraineté pharmaceutique
Dans le but de réduire sa dépendance vis-à-vis des importations de médicaments, le Sénégal a engagé des initiatives pour renforcer sa capacité de production locale. Le centre de production de vaccins Madiba de Diamniadio qui a été créé dans cette optique, constitue d’ailleurs un jalon crucial pour le pays et pour l’ensemble de la région.
Les participants restent cependant unanimes : instaurer un cadre politique et législatif favorable est essentiel si le Sénégal veut encourager la production locale de médicaments. Une des possibilités serait notamment de réformer l’accord de Bangui de l’OAPI pour y intégrer les flexibilités de l’ADPIC.
Résultats et recommandations
Une analyse préliminaire de la situation au Sénégal réalisée dans le cadre de ce projet montre que pour les médicaments anti-VIH, l’approvisionnement est centralisé et financé par le Fonds mondial et largement par l’État sénégalais, permettant une couverture thérapeutique de 93 % pour les personnes vivant avec le VIH. Néanmoins, seuls quatre médicaments sur les 26 essentiels pour le VIH sont régulièrement tracés, ce qui limite l’efficacité du suivi de l’approvisionnement. Dans le domaine des vaccins, bien que le pays bénéficie du soutien de l’UNICEF, la dépendance vis-à-vis des fournisseurs internationaux reste élevée.
Les participants ont recommandé :
- Renforcement des capacités de production locale : Travailler avec les pays membres de l’OAPI pour adapter l’accord de Bangui et promouvoir la production locale de médicaments.
- Amélioration du cadre juridique de la PI : Mettre en place un système d’opposition aux brevets abusifs, simplifier l’accès aux licences obligatoires, et instaurer une loi nationale pour encadrer la PI au Sénégal.
- Sensibilisation des décideurs et acteurs locaux : Renforcer la prise de conscience des décideurs sur l’impact de la PI sur l’accès aux médicaments, et promouvoir des formations sur les flexibilités de l’ADPIC.
Vers un accès élargi et équitable aux soins
La rencontre a permis de réaffirmer la volonté des différents acteurs de la santé du Sénégal d’atteindre la souveraineté pharmaceutique d’ici 2030, avec pour ambition de rendre les médicaments essentiels accessibles à l’ensemble de la population. En renforçant la chaîne d’approvisionnement, en valorisant la production locale et en adaptant les lois sur la PI aux réalités locales, ces différents acteurs aspirent à réduire les inégalités en matière de santé et à promouvoir l’accès universel aux soins de santé.